
Clémentine Pommier, médiatrice : « J’aime beaucoup le quartier pour sa richesse culturelle »
(Re)bondissons : Est-ce que vous pouvez nous dire quel est votre parcours d’études ?
Clémentine Pommier : J’ai une licence en communication hyper lien. J’ai fait beaucoup de documentaires, de vidéos, de créations sur ordinateur. Dans le cadre de mes études, je suis partie au Mexique où je suis restée étudier un an, pour avoir ma licence. J’ai commencé un master « Métiers de la culture » avant d’être embauchée dans une association. J’ai travaillé comme coordinatrice en Bretagne.
Quel est votre parcours professionnel ?
C’est un peu particulier parce que je n’ai pas de diplôme dans le domaine où je suis.
Ça fait une dizaine d’années que je travaille avec le public dit « en migration », c’est-à-dire des demandeurs d’asile ou des personnes étrangères qui arrivent sur le territoire. J’ai appris ce métier sur le tas, en faisant du terrain.
Aujourd’hui, je suis médiatrice et je suis en train de passer une certification. J’ai déposé aussi ce qu’on appelle une validation d’acquis et d’expériences (VAE) pour obtenir un diplôme d’éducatrice parce que je crois avoir le niveau. J’ai écrit tout un dossier de 100 pages à peu près pour expliquer des situations que j’ai rencontrées dans mon activité professionnelle et décrypter comment j’y ai réagi. Après, je passerai devant un jury.
En quoi consiste votre métier de médiatrice ?
La médiation sert à faciliter le lien entre plusieurs instances.
Moi je travaille en tant que médiatrice collège-famille au sein de trois collèges des quartiers nord de Bourges : Jules-Verne, Victor-Hugo et le Grand-Meaulnes. Mon but, c’est de faciliter le lien entre les parents et les établissements scolaires, mais pas que. Parfois, on se rend compte que les gens ont besoin d’aller à la maison des adolescents ou de voir l’assistante sociale par exemple. Ils sont un petit peu paniqués par le fait d’aller dans un endroit inconnu. Donc, je les accompagne pour faire le lien avec les personnes là-bas.
J’aide aussi à trouver des activités extrascolaires pour leurs enfants. Par exemple, du sport, pour qu’ensuite, à l’école, ça se passe au mieux.
Quelles sont les actions concrètes que vous menez ?
Je peux en citer plusieurs.
Par exemple, un enfant n’allait pas très bien au collège. On en a discuté avec l’assistante sociale et il a été décidé qu’on pouvait l’orienter vers la maison des adolescents, une structure qui aide les jeunes de son âge. C’est vraiment du soutien vers un accompagnement psychologique.
J'ai contacté les membres de la famille, je leur ai expliqué ce qu'est la maison des adolescents, je leur ai donné rendez-vous, on y est allé ensemble en bus pour voir comment s’y rendre et je leur ai présenté les animatrices qui allaient recevoir leur enfant.
Je participe aussi beaucoup aux fêtes de quartier pour rencontrer les gens autrement : ça me permet de discuter de l’école en dehors de l’école. Quand on n’est pas au collège, les gens parlent plus. Il y en a beaucoup qui ont peur de passer les portes des collèges parce qu’ils ont peur d’être jugés, ils ont eu une mauvaise expérience... du coup, ils n’ont pas forcément envie d’y aller. Il y a aussi beaucoup de gens que j’accompagne qui ne parlent pas français et qui considèrent que, quand ils iront à l’école, ils ne seront pas compris alors qu’on a des systèmes de traduction. Moi je peux appeler un traducteur dans 168 langues pour pouvoir comprendre la famille ; je veux vraiment arriver à lever ces freins pour que des liens se créent pour le bien des enfants.
« J’ai envie que les gens soient bien accueillis »
Est-ce que les élèves que vous accompagnez sont souvent des étrangers ?
Dans mon expérience professionnelle, j’ai travaillé dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, j’ai travaillé à Emmaüs, j’ai travaillé en tant qu’éducatrice pour l’aide sociale à l’enfance et pour Jemina sur Bourges où j’aidais des jeunes mineurs non accompagnés, c’est-à-dire des mineurs qui arrivent sur le territoire français sans avoir de famille.
Toutes ces expériences m’ont permis de comprendre différents publics, notamment les publics étrangers. C’est vrai que, souvent, c’est à moi qu’on fait appel pour des publics étrangers, les enfants étrangers, mais pas que.
De mon côté, j’aime beaucoup apprendre des langues, découvrir des cultures. J’ai été plusieurs fois à l’étranger, j’y ai vécu... je me rends compte à quel point l’accueil est important quand on arrive dans un pays et je me dis : « j’ai envie que les gens soient bien accueillis. Peu importe de là où ils viennent, j’ai envie que l’accueil soit un point de départ ».
Qui peut vous solliciter, les parents ou les enfants ?
Tout le monde peut me solliciter : à la fois les parents et les enfants. Parfois, les enfants me voient à la recréation et ils me disent : « mon père n’arrive pas à remplir le dossier d’inscription ». J’appelle et je prends rendez-vous. Il y a des familles qui me connaissent déjà et du coup, elles m’appellent ou m’envoient un message par WhatsApp.
Il y a aussi l’école, les professeurs, le principal, toute l’équipe du collège et aussi ce qu’on appelle les partenaires, c’est-à-dire les personnes qui sont extérieures à l’école et aux parents : par exemple, l'association « C’est possible autrement », des assistantes sociales ou des intervenants sociaux de CADA qui ont besoin de lien avec l’école. Ils ne savent pas qui contacter ; je les oriente, c’est-à-dire que je prends l'information, je leur dis : « il faut appeler peut-être là ou là ». Je donne les contacts pour que ça soit facile pour tout le monde.
Est-ce que vous habitez le quartier ?
Non, j’habite à l’extérieur. J’habite le week-end à la campagne et la semaine par contre, je suis sur Bourges mais pas dans le quartier.
Mais je suis née ici, j’ai vécu longtemps ici, depuis petite. J’ai fait mes études au lycée juste à côté donc c’est vraiment toute mon enfance. Je vois l’évolution et comment ça avance… Ma mère vient aussi d’une cité ouvrière où il y avait beaucoup de communautés différentes. J’ai été élevée par une grand-mère marocaine qui m’a gardé pendant longtemps. J’ai un peu cet attrait-là, pour plein de cultures et pour apprendre les langues aussi.
Quel est votre rôle dans le quartier avec les jeunes ?
Je peux leur proposer de faire des activités, je sais qu’ils ne sont pas occupés pendant les vacances. On regarde ensemble ce qu’il y a puis on y va.
Je suis beaucoup dans le quartier : je marche ou je fais du vélo. Les papas et les mamans me voient et me posent juste des questions, comme ça. Comme je disais, je suis aussi beaucoup dans les fêtes de manière à rencontrer les gens, et qu’ils puissent m’identifier. Non pas comme le professeur - parce que beaucoup croient que je suis professeur - mais comme lien.
Et puis j’aime le quartier pour sa richesse culturelle : beaucoup de gens différents... C’est très vivant.
« Former les gens à comprendre »
Quel regard portez-vous sur les jeunes en tant que médiatrice ?
J’essaie d’avoir un regard bienveillant et surtout pas de jugement parce que les jeunes d’aujourd’hui, on leur attribue beaucoup de maux de la société, on leur attribue beaucoup de problèmes alors qu’il y a beaucoup de choses qui n’ont pas forcément été réglées dans l’Histoire vis-à-vis des peuples colonisés.
La France est un pays qui a colonisé et qui porte un passé trop lourd. Je pense qu’à travers les activités que je peux proposer ou à travers des formations auprès des professeurs, j’essaie de faire comprendre qu'il est important que notre positionnement soit bien situé dans l’Histoire. On nous a beaucoup appris à considérer les peuples africains ou maghrébins comme inférieurs à nous, à travers la guerre d’Algérie ou la colonisation de pays comme le Sénégal, la Guinée, etc… J'essaie de former les gens à comprendre.
J’aime bien questionner les jeunes sur leur vie, ce qu'ils aiment. Beaucoup d’entre eux paraissent durs comme ça, mais ils ont en fait plein de choses à dire. J’ai mené une activité autour de l’écriture du rap pour que les jeunes puissent s’exprimer à travers la musique. Au départ, ils parlaient beaucoup d’amour, mais maintenant, ils ont envie de parler de politique, ils ont envie de parler de leur vie d'aujourd'hui.
Et pour ceux qui ont des difficultés (dans leur famille, scolaires,… à se projeter) avez-vous de l’espoir pour leur avenir ?
J’ai toujours un espoir, sinon je ne ferais pas ce métier.
Je n’ai pas vocation à être Superman, je ne suis pas quelqu’un qui va sauver la planète. Déjà, parce qu'on sous-estime la richesse des gens, l’autonomie qu’ils peuvent avoir : je pense que les jeunes sont assez malins et très futés pour trouver la solution à leurs problèmes, même si la vie familiale est compliquée, même si économiquement, ça ne va pas très bien.
Les jeunes que j'accompagnais il y a dix ans ont aujourd'hui 30 ans et je vois maintenant comment ils évoluent : des fois, on se dit que ça va être compliqué, mais non, il y a plein de chemins et plein de possibilités en France pour que les jeunes puissent rebondir. C’est ce que je leur souhaite.
Quelles sont les solutions que vous pouvez leur proposer ?
A l’école, il y a des dispositifs pour les jeunes qui sont en décrochage scolaire : ils commencent à ne plus vouloir aller à l’école, à développer un peu d'angoisse ou ils ont des difficultés telles qu'ils n’arrivent pas à suivre. Il y a des solutions comme des écoles relais pour que les jeunes ne se sentent pas mal face à l’apprentissage ; ils font plein d’activités et découvrent plein de nouvelles choses... c’est vraiment intéressant.
Il y a aussi beaucoup de soutiens dans le quartier : « Accueil et promotion » donne des coups de pouces aux collégiens, tous les mercredis après-midis. L’association propose aussi des activités sportives et puis des sorties sympa pour découvrir d’autres choses.
Il y a aussi le Hameau de la fraternité qui propose l'aide aux devoirs. C’est très individuel, ça dépend du parcours de l'enfant, de ses envies et de sa motivation. On ne va pas l’orienter vers les choses qui ne lui conviennent pas. Il faut comprendre les jeunes et leurs envies. C’est difficile à exprimer, ses envies. Alors il faut les découvrir avec eux.
« Je suis une grande défenseuse du multiculturalisme ! »
Qu’est-ce vous pensez des quartiers nord ? Des services et des activités pour les jeunes ?
Comparé à quelques années en arrière, je trouve qu’il y a pas mal d’activités proposées aux jeunes, enfants et adolescents.
Après, ça reste quand même un quartier un peu excentré et victime de stéréotypes.
Moi qui habite à la campagne, j’entends beaucoup de monstruosités sur les quartiers nord de Bourges ; mais en y travaillant, je ne m’y sens pas en danger.
Le fait que les bus soient gratuits font que les jeunes se déplacent de plus en plus : ils vont en ville et au Val d’Auron faire des activités au lac. Le transport qui se développe, c'est bien, ça permet de sortir au lieu de rester dans le quartier, de bouger.
Qu’est-ce que les jeunes vous disent de leur quartier ?
Je n’ai pas entendu du mal du quartier. Je pense que les gens s’y sentent bien, il y a beaucoup d’activités mais il reste encore à investir dans la santé.
Qu’est-ce que vous pensez du multiculturalisme ? Est-ce que pour vous cela représente un problème ?
Je suis une grande défenseuse du multiculturalisme et je me sens rassurée dans la rue quand les gens parlent d’autres langues !
Propos recueillis par Christelle