Une bal(l)ade pour entendre les quartiers nord

Des bruits de démolition, la planche d’un skate qui frotte contre le bitume, des rires d’enfants, un moteur de scooter qui s’éloigne, de la musique… et des voix d’hommes et de femmes, d’âges et de cultures différents, qui racontent leur quartier à travers des anecdotes qui ont marqué leurs vies.

C’est ce qu’on entend lorsqu’on fait la bal(l)ade sonore imaginée par la MANB (la Manufacture des Arts Numériques de Bourges) dans le quartier de la Chancellerie à Bourges. Inaugurée en juillet, elle part du centre commercial Cap Nord et forme une boucle, avec dix points d’exposition et d’écoute : des affiches ou panneaux grands formats ont été installés près de lieux symboliques ; ils contiennent des photographies et des QR-Code qu’il faut flasher avec un smartphone pour entendre le témoignage des habitant.e.s du quartier. L’idéal est de se munir d’un casque pour être totalement immergé.e ou d’une petite enceinte si on choisit une écoute collective. Les sons d’hier se mêlent alors à ceux d’aujourd’hui...

Cette bal(l)ade est la suite d’un projet lancé en 2021 par la MANB et intitulé « Echos d’âmes ». A l’occasion du NPNRU (Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain), les musiciens, anthropologue, photographe et réalisatrice qui composent le collectif ont recueilli des témoignages de dizaines de Berruyer.e.s impacté.e.s par les bouleversements de leur quartier : destruction de certains immeubles, évolution du tissu associatif, nouvelles mobilités, rapports entre les habitant.e.s… Les thèmes abordés sont variés mais ont tous un lien avec les dimensions sensibles de l’habiter.
Vincent Esperon, musicien et coordinateur du projet, précise : « On réalise des entretiens individuels et parfois en groupe. Ça permet de capter des échanges. On essaie aussi d’être présents sur les événements importants du quartier comme le carnaval, par exemple. »

Un travail colossal qui nourrit la mémoire

Les entretiens sont guidés par Guillaume Etienne, anthropologue à l’université de Tours. Durant la période 2021-2023, une trentaine de ces entretiens ont été menés avec des personnes habitant ou familières des quartiers nord parce qu’elles y travaillent, y font leurs courses, y pratiquent une activité… Les profils sont variés : hommes et femmes, habitant les différents secteurs (Chancellerie, Gibjoncs, Moulon) ou professionnel.le.s, jeunes, adultes ou personnes âgées, de différentes classes sociales. L’idée étant de refléter l’hétérogénéité constatée sur ce territoire. Des observations ont également été menées dans des structures locales (Epicerie solidaire, Centre social, Tivoli, Réseau d’échanges réciproques de savoirs…) ou lors d’événements.

En 2022 et 2023, la MANB a restitué le fruit de ce travail sous plusieurs formes, notamment un concert en immersion (avec un dispositif sonore en octophonie) auquel ont participé 300 personnes. Des photographies de Christine Legeret, tirées en grand format sur les murs des immeubles, participaient aussi de l’immersion. Les auditeur.ice.s ont ainsi pu écouter une création originale composée à partir des témoignages et des environnements sonores du quartier.

Par ailleurs, huit podcasts ont été réalisés par Vincent Esperon et Jon Haure-Place pour une diffusion sur la radio locale Radio Résonance.
Enfin, toute la matière récoltée a été confiée aux archives municipales et communautaires de Bourges, afin qu’elle puisse être inventoriée, classifiée, consultée… Un travail colossal qui nourrit la mémoire des quartiers nord de Bourges.

L’esprit de quartier

Les bal(l)ades sonores représentent une nouvelle manière de mettre en valeur la parole des habitant.e.s. « Pour la première balade, on plante le décor, avec un thème de rétrospective », expliquait Vincent Esperon lors de l’inauguration en juillet. De l’avenue du Général-de-Gaulle à l’arrêt de bus Cottenet en passant par le centre social, le parc du Moulon et la salle de spectacle le Hublot, ce sont ainsi des souvenirs qui se déploient.
On évoque l’évolution des habitats depuis les années 1960 : « C’est vraiment bizarre qu’on puisse détruire une habitation... » « T’imagines ? Tu passes dans la rue là, et y’a plus l’endroit où t’as habité. A la place, y’a un trou... » « Pour un certain nombre d’habitants, partir n’est pas un choix, c’est comme un exode. »

On entend le marché de la Chancellerie, tellement vivant, multiculturel : « Ici, c’est le marché à Bamako ! »
Les associations, « le poumon de la ville », tiennent aussi une grande place dans les histoires racontées, tout comme les fêtes familiales et les baignades qui se tenaient autrefois au Moulon. « Oh, le pauv’ Moulon… maintenant, c’est plus entretenu. » « Il y a moins de convivialité. » « Y’avait des grands bals mais ils ont disparu. »
A une autre station, montent les chants et les musiques, avant qu’un habitant parle de « l’esprit de quartier ».
En creux, les problèmes surgissent. Le manque d’écoute de certains élu.e.s, des architectes aussi, le cloisonnement des quartiers nord par rapport au reste de la ville, la mauvaise image dont ils souffrent, le trafic de drogue… « Et mais c’est pas Chicago ! »

« L’objectif, c’est de créer cinq ou six bal(l)ades d’ici à 2028, puis de les relier », souligne Vincent Esperon. Elles partiront toutes de la Maison du projet sur le parking de Cap Nord. Elles permettront peut-être de faire connaître les quartiers nord à celleux qui n’ont pas l’habitude de s’y rendre mais aussi aux habitant.e.s de découvrir de nombreuses histoires qu’iels ignorent certainement et ainsi, de poser un autre regard et une autre écoute sur leur environnement.

Texte et photos : Fanny Lancelin

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