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Photo de couverture

« La Ferme des Animaux », George Orwell et Quentin Gréban

15 mars - 15 avril 2024
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C’est un ouvrage publié par une maison d’édition jeunesse mais bien des adultes s’y laisseront prendre. On plonge tout·e entier·e dans la lecture de ce format extra large, composé du génial texte de George Orwell accompagné de magnifiques aquarelles signées Quentin Gréban. La fable, qui dénonce les régimes autoritaires, n’a pas pris une ride…

Ecrite en 1944 et publiée l’année suivante, « La Ferme des Animaux » (titre original : « Animal Farm. A Fairy Story ») est, à l’origine, une critique du régime soviétique après la révolution russe et l’avènement de Staline. Mais, comme l’a écrit lui-même l’auteur dans une lettre à son ami Dwight Macdonald en 1946, il avait une intention plus large : « je voulais montrer que cette sorte de révolution (une révolution violente menée comme une conspiration par des gens qui n’ont pas conscience d’être affamés de pouvoir) ne peut conduire qu’à un changement de maîtres. La morale, selon moi, est que les révolutions n’engendrent une amélioration radicale que si les masses sont vigilantes et savent comment virer leurs chefs dès que ceux-ci ont fait leur boulot (…). J’ai simplement essayé de dire : « Vous ne pouvez pas avoir une révolution si vous ne la faites pas pour votre propre compte ; une dictature bienveillante, ça n’existe pas. » » (1)

« La Ferme des Animaux » raconte l’histoire de cochons, équidés et volailles qui décident un jour de se révolter contre leur maître, Mr Jones. Ils répondent ainsi à l’appel lancé par le cochon Sage l’Ancien : « L’Homme est la seule créature qui consomme sans produire. Il ne donne pas de lait, il ne pond pas d’œufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pour attraper un lapin. Pourtant le voici suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches entre eux, mais ne leur donne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui le surplus. Qui laboure le sol ? Nous ! Qui le féconde ? Notre fumier. Et pourtant, pas un parmi vous qui n’ait que sa peau pour tout bien (…). A la fin, aucun animal n’échappe au couteau infâme (…). Camarades, n’est-ce pas clair comme de l’eau de roche ? Tous les maux de notre vie sont dus à l’Homme, notre tyran. Débarrassons-nous de l’Homme, et nôtre sera le produit de notre travail. »

Et voici qu’une fois Mr Jones chassé, les animaux mènent leur ferme en auto-gestion. L’Animalisme est érigé en doctrine et ses commandements peints sur le mur de la grange. Des assemblées ont lieu chaque semaine pour définir collectivement le temps de travail et les loisirs. Mais progressivement, habilement, les cochons vont prendre le pouvoir. Le sort qu’ils réserveront à leurs congénères sera-t-il pire que le traitement infligé par l’Homme ?

Comme « 1984 » qui rendra célèbre l’auteur quelques années plus tard, « La Ferme des Animaux » porte la marque de ses engagements : George Orwell a lutté contre l’impérialisme britannique après avoir vécu en Birmanie ; pour la justice sociale et le socialisme, après avoir observé les conditions d’existence des ouvriers en Angleterre ; contre les totalitarismes, après sa participation à la guerre d’Espagne et dans une milice de volontaires en préparation du débarquement des Nazis… Ici, George Orwell critique notamment le culte de la personnalité du chef, la réécriture du passé dans une histoire officielle, l'endoctrinement et la manipulation idéologique des masses, les souffrances et les horreurs qui en découlent.

A l’époque de sa publication, il a dû faire face à de nombreuses critiques : la guerre se terminait à peine et l’URSS était un allié de la Grande-Bretagne. Quatre éditeurs refusèrent de s’engager avant Secker and Warburg. De plus, les socialistes occidentaux peinaient encore à reconnaître les dérives d’une idéologie qu’iels avaient soutenue. Enfin, on reprocha aussi à George Orwell la fin de l’ouvrage, parfois perçue comme une fatalité. Or, s’il s’agit bien d’une fable dystopique, le but est plutôt d’alerter pour que ne se reproduisent plus les situations décrites. A la manière des Fables de la Fontaine qui mettaient en garde le peuple contre les agissements des « puissants ».

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site des éditions Jeunesse Mijade : http://mijade.com/

A souligner : la suite de « La Ferme des Animaux » est imaginée de manière passionnante par Xavier Dorison et Félix Delep, dans une série de bandes dessinées intitulée « Le Château des Animaux ». Trois tomes sur les quatre prévus initialement sont sortis chez Casterman. Vivement la suite !

Notes

  • (1) Cité sur Wikipédia : extrait d’« Ecrits politiques (1928-1949). Sur le socialisme, les intellectuels & la démocratie », traduction de Bernard Hœpffner, Agone, 2009, p. 346-347.