« Je pensais que mon père était Dieu », anthologie de Paul Auster
Le projet – intitulé National Story Project – a vu le jour en 1999 lorsque la National Public Radio (NPR) a proposé au célèbre écrivain Paul Auster de se transformer en chroniqueur radio, à lui qui savait si bien raconter les histoires. « Ça ne m’intéressait pas, explique-t-il dans la préface de cet ouvrage. J’avais assez à faire avec mon travail personnel, et me charger d’un emploi qui m’obligerait à mouliner des récits sur commande était bien la dernière chose dont j’avais besoin. » Mais son épouse, Siri, parvient à le convaincre : « Tu n’as pas besoin d’écrire les textes toi-même (…). Mets les gens à la tâche, qu’ils écrivent leurs propres histoires. Qu’ils te les envoient et ensuite, tu liras les meilleurs à la radio. »
Quelques mois plus tard, après avoir lancé un appel sur les ondes, Paul Auster recevait plus de 4.000 textes manuscrits, tapés à la machine ou imprimés à partir de mails ! Leurs auteur.ices ? Des habitant.es de 42 états différents, âgé.es de 20 à 90 ans, pour moitié des hommes et pour moitié des femmes, aux métiers aussi variés que leurs styles d’écriture : facteur, matelot, employée, restaurateur de pianos, médecins, anciens militaires, musicien, prêtres, hommes d’affaires, femmes au foyer, fermier.es, lycéen.nes… « Un si grand nombre d’émotions à affronter, un si grand nombre d’inconnus installés dans mon living, des voix si nombreuses me parvenant dans tant de directions différentes, commente Paul Auster. Je n’entendais pas l’Amérique chanter. Je l’entendais raconter des histoires. »
Conditions pour que les textes soient sélectionnés : qu’ils soient brefs, véridiques mais écrits sous forme de récits à la manière d’une fiction. L’écrivain est sensible à leur humanité et leur charme. Il les classent selon dix catégories : animaux, objets, famille, slapstick (un genre d'humour impliquant une part de violence physique volontairement exagérée), inconnus, guerre, amour, mort, rêves et méditation. Il reconnaît que l’anthologie contient « des écrits élégants et raffinés, mais il y en a aussi beaucoup de grossiers et maladroits ». « Une petite part seulement ressemble à ce qu’on pourrait appeler de la « littérature ». Il s’agit d’autre chose, de quelque chose de brut et d’essentiel et quel que soit le talent qui manque à ces auteurs, leurs récits sont la plupart inoubliables. »
Paul Auster n’a pas regretté d’avoir finalement accepté cette aventure. Durant un an, à raison de vingt minutes par jour, les histoires extraordinaires de ces auteur.ices ordinaires ont été diffusées sur les ondes de la NRP. « Des rapports envoyés du front de l’expérience personnelle » que l’on peut lire d’une traite ou par morceaux, en ouvrant l’ouvrage au hasard.
Disparu en avril dernier à l’âge de 77 ans, Paul Auster laisse ici une anthologie passionnante qui l’a beaucoup marquée, « l’une des tâches les plus gratifiantes que j’ai jamais entreprises », confiait-il dans la préface.
« J’ai pensé que mon père était Dieu » est paru en France en 2001 aux éditions Actes Sud.
Plus d’informations : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/je-pensais-que-mon-pere-etait-dieu