« D’une seule voix », Xavier de Lauzanne
Jean-Yves Labat de Rossi avait déjà tenté – et réussi – une expérience similaire : en 1994, en pleine guerre en ex-Yougoslavie, il était parvenu à reformer la chorale éclatée de Sarajevo, alors composée de Serbes, de Croates et de Bosniaques. Il les avait fait chanter dans la cathédrale de la ville avant de les exfiltrer par un tunnel de l'aéroport en direction de la France.
Rien ne le prédestinait à ce genre « d’aventure », si ce n’est un certain esprit anticonformiste : sous le pseudonyme de Mister Frog, il s’est fait connaître dans les années 1970 avec le groupe Utopia et a fréquenté le milieu de Woodstock. Lassé, il a décidé de monter des projets ayant davantage de sens à ses yeux.
Après l’ex-Yougoslavie, il se tourne vers le Moyen-Orient et entreprend de réunir des musicien·ne·s palestinien·ne·s et israélien·ne·s. Mais pas question d’une chorale ou d’un orchestre commun : sur place, les conditions de sécurité ne sont pas réunies pour permettre aux différents groupes de se rencontrer, encore moins de répéter régulièrement ensemble. C’est Jean-Yves Labat de Rossi qui se déplace de Jérusalem à Gaza pour voir les artistes, les enregistrer et négocier les détails de la tournée. Le réalisateur Xavier de Lauzanne le suit dans ce voyage périlleux à la rencontre de Hezy Levy (juif israélien), Karawan (ensemble composé d’arabes israéliens, musulmans et chrétiens), Kheiro (arabe israélien, musulman), le révérend Goussan Aljanian (arménien), le Jerusalem Oratorio Chamber Choir (juif·ve·s israélien·ne·s), le chœur d’enfants de Taybeh (palestiniens de Cisjordanie, chrétiens), le Chœur Efromi (enfants juifs israéliens), l’ensemble musical de Palestine (gazaoui·e·s musulman·e·s), Ashrechem (juifs israéliens), Ashira (arabes et juifs israéliens), Eti & Saz (juive israélienne et arabe israélien).
C’est une fois en France que tous·tes font connaissance. Iels partagent les mêmes moyens de transport, les mêmes loges et la même scène. Les premiers jours sont tendus. Ici, c’est un geste qui est considéré comme une provocation. Là, une parole jugée comme revendication politique. Jean-Yves Labat de Rossi et son équipe sont sans cesse sur le qui-vive pour éviter le conflit de trop, celui qui mettrait définitivement fin au projet. Caméra à l’épaule, Xavier de Lauzanne filme sans concession les disputes, les malentendus, les mises au point…
Mais au fur et à mesure que la tournée avance – et que, pourtant, la fatigue se fait de plus en plus sentir – on assiste à quelques instants de grâce. Des liens, véritablement d’amitié, se tissent doucement. Et c’est bien cette expérience de la musique, leur passion commune, qui le permet : dans une coulisse, des jeunes filles israéliennes apprennent une danse arabe en riant ; dans le bus, une discussion politique s’engage, animée mais sans violence ; entre deux concerts, un jeune Israélien se réjouit de ne plus avoir peur de ses voisins ; au moment de se dire « au revoir », des larmes roulent sur les joues… Des moments rendus encore plus fragiles par la réalité qui bien vite les rattrape : à leur retour, un des musiciens palestiniens est tué par une frappe israélienne. Mais à ses obsèques, des invité·e·s inhabituel·le·s sont là puisqu’une grande partie des artistes de la tournée, y compris israélien·ne·s, ont tenu à être présent·e·s.
Le film, sorti au cinéma en 2009, a obtenu le prix du meilleur documentaire au festival international de Palm Beach et au festival international de Houston aux Etats-Unis, le Grand Prix au festival du film d’éducation à Evreux, le Prix Art et Culture au festival international du scoop et du journalisme d’Angers et le prix « Autrement vu des cinémas Nord-Pas-de-Calais » au FIGRA du Touquet. Il est désormais disponible en DVD.
Pour voir la bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=t78K3vW-nMI
A noter que Xavier de Lauzanne sortira son prochain long métrage en mars 2024 intitulé « La beauté du geste ». Plus d’informations sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Xavier_de_Lauzanne