Le modèle des radios associatives (encore) menacé ?
Quand on écoute Radio Résonance, sur le 96.9 de la bande FM ou sur Internet, on est saisi par l’éclectisme de la grille musicale : rock, reggae, chansons à textes, électro, rap… Avec des groupes qui ne passent sur aucune autre station dans le Cher. C’est précisément pour « proposer ce que les autres ne proposent pas », comme l’explique Stéphane Chambord, l’actuel président, que la radio a été créée par une équipe de passionné.es en 1987 (1). Baptisée Radio Culture Bourges, puis Résonance Centre Bourges et enfin Radio Résonance, elle fonctionne aujourd’hui sous statut associatif. Une quarantaine de bénévoles et une salariée, Aude Yvanès, la font vivre au quotidien.
« Quand j’ai entendu que le Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (FSER) allait baisser comme ça, j’ai été prise d’un gros vertige, raconte Aude Yvanès. Depuis plusieurs années, on constatait déjà une diminution et c’était de plus en plus difficile d’obtenir de l’argent. Mais avec une telle annonce, on se met un peu à trembler... » Créé en 1982, le FSER est basé sur la perception d’une taxe sur les contrats publicitaires audiovisuels. Il bénéficie aux radios locales associatives ne diffusant pas de publicité à caractère commercial et étant les plus actives en matière de « communication sociale de proximité ». Une expression introduite en 2000 par la loi Trautmann (2) pour cerner leur mission : « favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion ». Une véritable mission de service public, donc.
« L’intégration des politiques sociales dans les missions des radios associatives conduit à une orientation de leurs actions, non plus seulement pour leur développement économique et professionnel, mais aussi vers des domaines considérés par les pouvoirs publics comme d’intérêt général », écrit ainsi Raphaël Dapzol dans un article paru en 2021 dans la revue Radiomorphoses (lire l’encadré).
Un média partenaire des acteur.ices du territoire
Radio Résonance compte deux pôles d’activités : l’antenne et la gestion de l’association.
A l’antenne, quatre types de programmes se succèdent : les rubriques d’intérêts locaux ; les émissions culturelles ; les émissions communautaires parfois en langues étrangères ; les émissions musicales. Certaines sont de véritables créations originales conçues et réalisées par les bénévoles et la salariée : c’est le cas par exemple de « J’ai la mémoire qui flanche », émission historique proposée par Michel Pinglaut, « Les souffleurs de vers » par l’association Poètes en Berry, « Deejay academy » par Stéphane Chambord, « Onda Lusitania » en portugais par le centre franco-portugais de Bourges, ou encore « Sandwich » consacrée au féminisme et animée entre autres par Aude Yvanès. D’autres émissions sont importées comme par exemple « Eldorado » sur les musiques tendance folk ou « Déclectic jazz » en partenariat avec Déclic Radio.
« Les bénévoles aiment surtout fabriquer les émissions et être à l’antenne, précise Stéphane Chambord. Mais il faut aussi gérer l’association. » Pour assurer sa mission d’éducation populaire, la radio ne peut compter uniquement sur des bénévoles. On le comprend bien lorsque Aude Yvanès liste toutes les tâches à accomplir : « J’ai cinq corps de métiers en un ! Je suis journaliste à l’origine, donc j’assure une veille de l’actualité, les reportages et interviews, le montage ; je gère aussi le local et les problèmes techniques ; j’accueille les bénévoles ; j’anime des ateliers radiophoniques à l’extérieur ; et je remplis des demandes d’aides comme des appels à projets. »
Elle participe également à des jurys de tremplins musicaux comme les Inouïs du Printemps de Bourges. « Radio Résonance, c’est une véritable plateforme qui permet aux artistes de la région de se faire connaître, souligne Stéphane Chambord. Nous assurons un gros travail de défrichage de nouveaux talents. Mettre en danger les radios associatives en supprimant des aides, c’est mettre aussi en danger tous ces artistes. »
Les associations locales y trouvent aussi un moyen de communiquer sur leurs actions. « Comme on peut le constater à la lecture des dossiers qu’elles déposent au Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique, les radios associatives sont les partenaires naturels de tous les acteurs des territoires : les établissements culturels, les établissements d’enseignement de tout niveau, les structures d’insertion, les institutions qui luttent contre toutes les discriminations, les collectivités territoriales, les acteurs sociaux et économiques, les défenseurs de l’environnement… », rappelle le Livre Blanc des états généraux des radios associatives (3).
Comment diversifier les ressources ?
Le FSER représente en moyenne 40 % des ressources des radios associatives. Si le projet de Loi de Finances 2025 avait été maintenu, il serait passé de 35,7 millions d’euros à 25,3 millions d’euros.
Radio Résonance perçoit de 30.000 À 35.000 euros par an et l'aide a déjà diminué. Dans ces conditions, comment encaisser une nouvelle baisse ? « De 2018 à 2020, on a essayé le 100 % bénévole, ça ne fonctionne pas, c’est impossible, explique Stéphane Chambord. Il faut du temps et des connaissances techniques pour animer correctement une radio. Et s’il n’y a pas de permanent, il n’y a pas de bénévole parce qu’alors, qui les accueillera ? Qui les formera ? Qui les accompagnera à la création d’émissions ? » Des jeunes en Service Civique peuvent apporter un soutien mais là aussi, le temps de formation est conséquent.
L’équipe réfléchit à diversifier ses ressources. D’autres financeur.ses peuvent-iels être sollicité.es ? « La mairie de Bourges nous aide déjà en nous offrant le local, répond Aude Yvanès. La Région soutient l’emploi via le dispositif Cap Asso et on répond à des appels à projets auprès du Contrat de Ville, de la CAF, de la DRAC, du Clemi pour les ateliers d’Education aux médias… ça reste précaire, c’est épuisant et comme ça prend beaucoup de temps, c’est au détriment du contenu. »
Stéphane Chambord évoque une piste de réflexion autour de l’auto-diffusion, avoir son propre émetteur permettant de faire des économies. Au nom de la radio, il participe également à la mise en place d’une fédération des radios associatives en région Centre, telles que dans les Pays-de-la-Loire (4) ou dans le Limousin (5). « Pour s’inspirer de ce qui marche. »
Un « tiers secteur » en sursis
Suite à l’annonce du projet de Loi de Finances 2025, la Confédération Nationale des Radios Associatives (CNRA), l’association Les Locales et le Syndicat National des Radios Libres (SNRL) avaient aussitôt réagi en se fendant d’un communiqué de presse dénonçant « un vrai coup de guillotine » (6). « C'est l’existence même de nos radios qui est menacée. Les médias de proximité, garants de la diversité et du pluralisme du paysage radiophonique, risquent purement et simplement de disparaître. Ce serait une perte irréparable pour la vie culturelle locale, pour l'accès à une information libre et pluraliste, et pour des milliers de citoyens qui trouvent dans nos radios une voix différente, alternative, et enracinée dans leur quotidien », pouvait-on y lire.
En effet, les radios associatives constituent ce que les sociologues appellent un « tiers secteur », c’est-à-dire ici une alternative entre le service public et les radios privées commerciales. Elles ouvrent un espace où peuvent se retrouver les amateur.ices et les professionnel.les, et permettent des pratiques et des contenus qui ne trouveraient pas leur place dans les autres radios.
Le 18 octobre, la CNRA et le SNRL ont rencontré la ministre de la Culture, Rachida Dati, puis le 22 octobre Denis Masseglia, rapporteur spécial pour la mission « médias, livres et industrie culturelle » au sein de la commission des Finances et enfin, le 5 novembre Michel Laugier, sénateur rapporteur pour avis des crédits relatifs à la presse pour la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication au Sénat. Sensibles à leur cause, des parlementaires déposaient dans le même temps des amendements à l’Assemblée nationale pour rétablir les crédits du FSER à la hauteur de l’année 2024, voire même pour obtenir une augmentation de ces crédits.
Et à Bourges ? Radio Résonance a reçu des soutiens des élus locaux et du député Nupes. « Il y a des mains tendues », assure Aude Yvanès.
Ne pas « lâcher l’affaire »
Le 29 octobre, les radios associatives apprenaient par la voix du ministre délégué aux comptes publics, Laurent Saint-Martin, que le niveau du FSER serait bien maintenu à celui de 2024. Un amendement rectificatif a même été proposé pour une augmentation de 12 millions d’euros. « On est rassuré mais sur du court terme, commente Stéphane Chambord. Pour l’instant, ça n’est qu’un sursis de 12 mois. » Même prudence du côté des syndicats qui attendent d’obtenir un rendez-vous avec le gouvernement et les services du ministère de la Culture.
A Radio Résonance, on ne veut pas « lâcher l’affaire » et on poursuit « le combat pour rester à flot ». Pas question de ne plus se projeter vers l’avenir. « D’ici à un an, on aimerait créer un second emploi, à temps partiel, explique Aude Yvanès. Ça permettrait de répartir les tâches différemment et d'en développer certaines. Mais pour ça, il nous manque quelques milliers d’euros. »
La DAB +, évolution technologique importante pour les radios (7), n’est pour le moment pas possible pour Radio Résonance : « Notre trésorerie ne nous le permet pas », regrette Stéphane Chambord.
La radio est suivie à Bourges et dans le reste du département (8) par quelques milliers de personnes, en attestent les 4.000 écoutes de podcasts enregistrées sur le site. « Ici, on discute avec les auditeur.ices dans la rue et avec les gens qui nous appellent pour connaître le titre d’une chanson, raconte Aude Yvanès. On me dit : « Eh, mais vous êtes la voix de Radio Résonance ! C’est ça, notre meilleur retour. Et la preuve qu’on est un vrai média de proximité. »
Texte : Fanny Lancelin
Notes
- (1) Lire aussi la rubrique (Re)découvrir.
- (2) Article 29, Loi no 2000-719 du 1er août 2000, Journal Officiel du 2 août 2000.
- (3) https://cnra.fr/des-etats-generaux-a-un-livre-blanc/
- (4) La FRAP : https://www.lafrap.fr/
- (5) Le GRAL : https://legral.info/
- (6) https://cnra.fr/wp-content/uploads/2024/10/Communique-Presse_Les-Locales_PLF2025_2024-10-11_Vdef.pdf
- (7) Lire aussi la rubrique (Re)découvrir.
- (8) Les autres radios associatives qui émettent depuis le Cher sont : Berry FM, RCF et Radio Tintouin. https://www.annuairedelaradio.fr/europe/france/centre-valdeloire/cher/
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Soutien et encadrement : le paradoxe qui touche les associations
Comment percevoir de l’argent public sous conditions tout en conservant une certaine liberté ? Cette question touche généralement le champ associatif depuis les années 1990 et les radios n’y échappent pas, selon Raphaël Dapzol, docteur en Sciences de l’Information et de la Communication, dans un article intitulé « Les radios associatives au service des politiques d’action publique » publié dans la revue Radiomorphoses en 2021 (1).
C’est ainsi que les radios associatives doivent faire face à un paradoxe : « l’Administration permet d’étendre la capacité d’action des associations par des étapes de reconnaissance et de régulation qui favorisent le développement des structures, par des agréments et l’accès à des subventions, mais renforcent également l’influence et le contrôle de l’Administration sur leurs statuts, leur fonctionnement et leur financement ».
Pour être soutenues, les radios associatives doivent remplir un certain nombre de critères. Ce qui les amène à ce que les sociologues Jean-Luc Laville et Renaud Sainsaulieu appellent un « isomorphisme institutionnel » (2) : il se définit « comme une intégration des logiques administratives dans les organisations, dirigeant les acteurs vers des normes de fonctionnement et de pratiques qui doivent répondre et se conformer aux attentes des institutions ». « Ce phénomène est particulièrement observable dans les processus de demandes de financement, qui font appel à des compétences administratives particulières et une connaissance des attentes administratives par les acteurs, distinguant et favorisant ainsi les structures en mesure de mobiliser les moyens d’y répondre. »
Comment, dès lors, élaborer des pratiques et des postures s’éloignant des normes imposées par l’Administration ? Pour Raphaël Dapzol, il existe fort heureusement « un espace de liberté inaliénable » pour les acteur.ices souhaitant agir selon leur propre volonté et leurs capacités à mobiliser des ressources. Le rapport entre l’Etat et les associations est fait de coopération et de co-construction, ou au contraire, d’opposition et de déconstruction par la résistance aux normes et aux cadres. « Entre ces deux frontières, s’étend un espace que les acteurs peuvent investir pour poursuivre leurs engagements individuels et produire des contenus qui ne s’intègrent pas nécessairement dans les normes et les critères d’évaluation de l’Administration ou des financeurs privés », souligne Raphaël Dapzol. Mais « l’espace de liberté des radios associatives apparaît ainsi à géométrie variable », favorisant les acteurs en mesure de mobiliser des capitaux de connaissance et un sens pratique pour l’occuper, élaborer des stratégies et agir en s’émancipant des cadres. « A l’opposé, les acteurs moins dotés se trouvent plus fortement soumis aux normes et aux injonctions et difficilement en capacité d’y résister autrement que par l’opposition ou le refus. »
C’est pourquoi, certaines rares radios refusent tout financement public comme privé, pour elles source de dépendance politique et économique, et ne fonctionnent que sur le soutien de leurs adhérent.es.
(1) https://journals.openedition.org/radiomorphoses/1641
(2) « L’Association : sociologie et économie », Renaud Sainsaulieu et Jean-Luc Laville, 2013, Paris, Fayard/Pluriel.