
« L’oeil sourd de la Commune », Sandrine Allier-Guepin
La culture sourde est comme la Commune : pour beaucoup, elle n’existe pas. Les sourd·e·s, muet·te·s, malentendant·e·s devraient passer leur vie à tenter d’entendre et de parler pour se conformer au monde des entendant·e·s. Or, leur culture existe belle et bien, marquée par des langues riches, un humour, un rapport au monde singuliers. C’est ce que Sandrine Allier-Guepin met en lumière dans son travail. Elle allie dessin et peinture pour réaliser des bandes dessinées originales.
« L’oeil sourd de la Commune » est paru en 2015 aux éditions Monica Compagnys (maison spécialisée dans les ouvrages pour les sourd·e·s mais aussi les entendant·e·s souhaitant apprendre la langue des signes). Basée sur des faits réels, elle raconte l’histoire de Bruno Braquehais, né sourd-muet en 1823 à Dieppe. Envoyé à l’Institut national des sourds-muets à Paris, il apprend le métier de lithographe, qu’il exerce à Caen avant de revenir à la capitale pour devenir photographe, en 1850. Ses premiers sujets sont des portraits et des nus. Sa femme, Laure Gouin, l’assiste en tant que coloriste. Au décès de son beau-père, photographe qui lui a beaucoup appris, il reprend son studio. Il présente sa collection à l’Exposition Universelle de 1867 à Paris.
Lorsque la guerre éclate entre la Prusse et la France, puis que le peuple de Paris se soulève, Bruno Braquehais et sa femme, comme nombre de bourgeois·e·s, commencent par s’enfermer chez elleux. Bruno n’entend pas les bruits de l’insurrection ; sa femme n’en peut plus des bombardements et des cris, elle veut quitter Paris. Il refuse. Son appareil photo avec trépied (encombrant et lourd) sur l’épaule, il sort immortaliser ce qu’il pressent être des moments extraordinaires. Fédérés posant fièrement sur leurs barricades ou troupes versaillaises durant la Semaine Sanglante : il semble ne pas prendre parti et s’en tenir à documenter les faits. L’un de ses clichés les plus célèbres est sans doute la chute de la colonne Vendôme, provoquée par les Communard·e·s le 16 mai 1871.
Convaincu que la police se sert de ses clichés pour confondre les responsables de l’insurrection, il quitte Paris avec sa femme et se réfugie à La Celle-Saint-Cloud. On retrouve sa trace en 1875, ruiné, divorcé et incarcéré à la prison de Mazas pour abus de confiance. Il décédera quelques jours seulement après sa libération.
Courte, pleine de mouvement et de couleurs, la bande dessinée de Sandrine Allier-Guepin se lit d’une traite. Si le texte est bien présent dans les bulles, on ressent le silence dans lequel le personnage principal vit les événements.
L’autrice avait déjà réalisé deux bandes dessinées biographiques avant celle-ci : « Sur les traces d'un Poilu sourd » qui raconte la vie réelle de Lucien Blanvillain (1889-1915), un des premiers soldats sourds tués durant la Première Guerre mondiale ; et « Laurent Clerc : pionnier sourd français », enseignant et cofondateur de la première école des sourds aux Etats-Unis. Elle a ensuite publié « Ferdinand Berthier : Premier militant sourd du XIXe siècle ».
Pour en savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sandrine_Allier-Guepin