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Contre des militants anti-bassines - Un procès historique des mouvements sociaux et écologistes

15 septembre - 15 octobre 2023
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A peine le Convoi de l'eau était-il bouclé que les militant.es anti-bassines ont dû avancer sur un autre front : celui de la justice. Neuf d'entre eux comparaissaient le 8 septembre devant le tribunal de Niort. Un procès historique, politique, véritable tournant dans la convergence des luttes sociales et environnementales. Loin de démobiliser les militant.es, il renforce leur détermination à combattre aussi sur le terrain les projets de méga-bassines qui sortent à nouveau de terre.

Iels avaient prévenu que rien n’entamerait leur détermination. « On va se défendre aujourd’hui devant le tribunal, et demain sur le terrain », avait même annoncé Joan Monga le vendredi 8 septembre à Niort, lors d’une conférence de presse organisée en amont du procès de neuf militants anti-bassines.
C’est ainsi que dès le lendemain, le samedi 9 septembre, environ 200 personnes se sont rendues aux abords du chantier de la méga-bassines de Priaires (1) : elles ont dressé des barricades pour entraver la circulation des engins et démonté des grilles encerclant le site. Elles sont ensuite allées à Mauzé-sur-le-Mignon constater l’étendue des dégâts causés sur les cours d’eau par le remplissage de la méga-bassine SEV 17, déjà en activité. Une action baptisée « balade pédagogique dans le marais ».

Dans un communiqué, la préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, a condamné ce qu’elle qualifie de « dégradations », soulignant qu’elles seraient « signalées au Parquet ». De son côté, le collectif Bassines Non Merci prévient que la chute de ces grilles annonce d’autres actions, si le chantier de Priaires devait se poursuivre et si le moratoire qu’il réclame depuis des mois n’était pas obtenu.

Les intimidations, les arrestations et les comparutions en justice ne semblent pas affaiblir le mouvement contre l’accaparement de l’eau. Elles attestent surtout du déni de l’Etat qui veut faire passer en force les projets de méga-bassines malgré les contestations de la population. Face à cela, l’alliance des luttes sociales et écologiques se renforce. « C’est finalement la bonne nouvelle de la journée, déclarait Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT à Niort, le vendredi 8 septembre. En nous pourchassant tous dans un même mouvement soit-disant violent, le gouvernement et le Capital accélèrent nos convergences. »

Comment l’Etat a-t-il réussi bien malgré lui ce tour de forces ? En quoi le procès du 8 septembre marque un moment historique pour les luttes en France ? Et plus particulièrement celle contre l’accaparement de l’eau et les méga-bassines ?

Environ 4.000 personnes rassemblées en soutien

Il fait déjà très chaud, en ce matin du vendredi 8 septembre, lorsqu’arrivent les premier.es manifestant.es sur la grande place de la Brèche, dans le centre-ville de Niort. Les drapeaux rouges de la CGT côtoient les roses de Solidaires, le vert d’EELV, le jaune de la Confédération paysanne, le bleu de Bassines Non Merci, le mauve de LFI… A l’apparition des neuf prévenus du jour, iels se pressent tous.tes ensemble au pied de la scène. Nicolas Garrigues et Joan Monga (les Soulèvements de la Terre), Julien Le Guet et Nicolas Beauvillain (Bassines Non Merci), Nicolas Girod, Benoît Jaunet, Sébastien Wyon (la Confédération paysanne), Hervé Auguin (Solidaires) et David Bodin (CGT) s’apprêtent à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Niort. Ils tiennent à s’exprimer devant les 3.000 à 4.000 personnes qui sont venues les soutenir.

Ils sont accusés d’avoir organisé ou participé à des manifestations anti-bassines (en mars, octobre 2022 et en mars 2023) et / ou d’avoir commis des dégradations ou vols de canalisations de méga-bassines. Pour Joan Monga, s’ajoute un « délit original » : « Participation à un groupement en vue de la préparation à… Même Georges Orwel ou Kafka n’auraient pu imaginer un délit aussi alambiqué ! ironise-t-il. Ça signifie que la gendarmerie aurait eu accès à mon for intérieur pour imaginer à ma place ce que j’aurais pu éventuellement faire, vous voyez ? »
Dès le début du procès, leurs avocat.e.s demanderont l’annulation des poursuites, en dénonçant des citations à comparaître floues. Mais le procès aura bien lieu.

Un procès d’une ampleur inédite

L’heure est d’abord aux prises de paroles, devant le public et en conférence de presse. L’occasion est trop belle de faire de cette journée une tribune politique, notamment contre la « criminalisation » des mouvements sociaux et écologistes. Certes, ce n’est pas la première fois que des responsables syndicalistes sont jugés. On se souvient notamment de José Bové, alors ancien porte-parole de la Confédération paysanne, incarcéré à quatre reprises pour la destruction de champs de maïs transgéniques et le démontage du Mc Donald’s de Millau. Des années plus tard, c’est l’un de ses successeurs, Nicolas Girod, qui est sur le banc des accusés.
Mais c’est bien la première fois en France qu’un procès de cette ampleur se tient, avec des représentants de différentes composantes, de cultures, de stratégies et de répertoires d’actions variés.

A l’inverse, la constitution du groupe de prévenus, homogène, reflète l’image que l’Etat se fait de la « tête » d’une organisation : des hommes, blancs, porte-paroles donc nécessairement chefs. « Ce groupe n’est pas fidèle à notre mouvement, qui est beaucoup plus pluriel que ça », a insisté Julien Le Guet (Bassines Non Merci). En effet, partout dans les manifestations et dans les groupes d’organisation, on retrouve des jeunes et des retraité.es, des familles avec des enfants, des hommes, des femmes et des queers, des personnes à diversité fonctionnelle…
De plus, comme l’a rappelé Laurence Marandola (Confédération paysanne), les prévenus sont convoqués à titre individuel « alors qu’ils ont un mandat de décisions collectives, assumées collectivement ». « Nos mouvements sont linéaires et démocratiques. Chaque adhérent.e porte une voix. Les porte-paroles ne sont pas des organisateurs. Les organisateurs sont là, tout autour de vous », a assuré David Bodin (CGT) en désignant la foule.

Des mouvements assimilés au terrorisme

Le procès de Niort s’inscrit dans une stratégie d’Etat qui vise à décourager ses opposant.es. « Tous ceux et toutes celles qui osent dire qu’ils ou elles ne sont pas d’accord avec le gouvernement deviennent des voyous », a dénoncé Sophie Binet (CGT). En effet, depuis quelques années, la criminalisation des mouvements sociaux et écologistes s’accélère. Loi Travail, mouvement des Gilets Jaunes, contestations dans les banlieues, réforme des retraites, tentative de dissolution des Soulèvements de la Terre… Les gardes-à-vue, convocations, perquisitions et comparutions en justice se multiplient, parfois pour des relaxes, souvent pour de la prison avec sursis ou pire (2).

La veille du procès à Niort, Sophie Binet et d’autres représentant.es syndicaux/les étaient convoqué.es à l’Assemblée nationale par « la commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et modalités d’action des groupuscules auteurs de violences, à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ». « Nous avons été menacé.es de 7.500 euros d’amende et de deux années d’emprisonnement si nous ne nous y rendions pas ! »
Elle a dénoncé la manière dont le gouvernement assimile les mouvements sociaux et écologistes au terrorisme, notamment en déployant un arsenal disproportionné. Nicolas Garrigues, des Soulèvements de la Terre, a témoigné : « J’ai été kidnappé chez moi au début de l’été par la sous-direction anti-terroriste qui m’a emmené 96 heures dans les bunkers de Levallois-Perret. Je dis ça parce que j’ai été interrogé par un capitaine qui m’a appris que la sous-direction anti-terroriste se cherchait de nouveaux débouchés dans l’écologie et dans ce qu’ils appellent les violences extrêmes. »

« C’est le ministre de l’Intérieur qui devrait être au tribunal »

« Aujourd’hui, ce n’est pas le bon procès, a expliqué Julien Le Guet (Bassines Non Merci). C’est le procès de la démocratie, le procès des contre-pouvoirs, le procès des gens qui se battent pour l’intérêt général. Mais j’espère que fera suite à ce procès, le vrai qu’on attend tous : celui des bourreaux de Sainte-Soline. On n’oublie pas, on ne pardonne pas et il faudra qu’on se batte pour que ce procès ait lieu. »
Ainsi, l’objectif de la défense des prévenus est de « renverser la charge ». « Le gouvernement a fait le choix d’organiser un procès politique, a expliqué Sophie Binet (CGT). Il fait le choix d’un scénario écrit d’avance pour faire porter à nos organisations pacifistes, connues, existant de longue date, la responsabilité des graves violences qui ont eu lieu à Sainte-Soline. »

Grâce au travail de la Ligue des Droits de l’Homme qui a décrit précisément, minute après minute, comment les faits se sont déroulés lors de la manifestation contre le chantier de méga-bassine à Sainte-Soline, le 26 mars dernier, il est possible de prouver que les violences ont été d’abord le fait de l’Etat. « Si il y a une personne qui devrait être au tribunal aujourd’hui, ce devrait être le ministre de l’Intérieur, a continué Sophie Binet, puisque c’est ce ministre qui a annoncé la veille de la manifestation qu’elle serait extrêmement violente, et pour cause : c’est lui qui l’a organisée ainsi. Il a interdit aux secours d’évacuer les blessé.es alors qu’il y a eu au moins 200 militant.es pacifistes blessé.es dont 40 graves et dont un certain nombre avec un pronostic vital engagé qui n’ont pas pu être évacué.es dans les temps. »

Les questions sociales et environnementales liées

Pourquoi le gouvernement craint-il les mouvements sociaux et écologistes au point d’en arriver là ? Parce que la doctrine libérale n’entend pas le principe de juste répartition des richesses. Y compris des ressources qui sont des biens communs, vitaux, comme l’eau. Tout se monétise. « Nous avons face à nous des gens cupides qui veulent garder leur argent et refusent de remettre en cause le système capitaliste qui exploite dans le même temps les humains et la nature », a souligné Sophie Binet.
Aujourd’hui, l’enjeu environnemental est fondamental au sein des mouvements sociaux car elle exacerbe les oppositions de classes : en effet, ce sont toujours les plus précaires qui paient le prix de l’inégal accès à l’eau, au gaz, à l’électricité, au pétrole, mais aussi qui vivent et travaillent dans des conditions qui mettent leur santé et leur vie en danger.
En liant questions sociales et environnementales, le mouvement permet aux travailleur.ses, y compris les paysan.nes, d’envisager d’autres manières de produire et de vivre. « On doit sortir du productivisme à outrance pour réfléchir à nos modes de production et à nos modes de consommation. Nous n’avons pas le choix parce que le capitalisme est mortifère : il détruit nos corps, il détruit nos vies, il détruit la planète », a martelé Simon Duteil (Solidaires).
Certes, l’alliance reste fragile : le 5 juillet dernier, la CGT a annoncé se retirer de la coalition baptisée « Plus jamais ça », à cause de différents sur le nucléaire (3). Mais les réflexions avancent dans bien des luttes.

Dans le cas des méga-bassines, c’est une poignée d’exploitant.es agricoles qui monopolisent l’eau pour irriguer des cultures inadaptées au changement climatique. « Sur les 6.500 agriculteurs des Deux-Sèvres, seuls 250 irriguent et 90 bénéficieraient des seize bassines en projet », a rappelé Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, soulignant ainsi l’injuste répartition de la ressource entre les agriculteur.ices. Historiquement, le syndicat s’oppose à l’agro-industrie et défend la paysannerie comme un modèle viable économiquement et souhaitable socialement. « Au tribunal aujourd’hui, il y aura des agriculteurs qui seront raccordés aux bassines (4), a raconté Nicolas Girod (Confédération paysanne). J’ai envie de leur dire que la solution aux problèmes de l’agriculture, ce n’est pas de produire toujours plus pour l’agro-industrie. Nous avons des solutions à apporter, nous les proposons depuis longtemps. Mais pour l’instant, nous ne sommes pas écouté.es alors nous n’avons pas le choix : nous devons continuer la lutte. »

« Grille par grille, bâche par bâche, on démontera toutes les bassines »

Comment ? A l’issue du Convoi de l’eau et des tentatives de négociations avec la préfète de bassin, Sophie Brocas (lire la rubrique (Re)découvrir), Bassines non Merci, la Confédération paysanne et les Soulèvements de la Terre ont été clairs : « Grille par grille, bâche par bâche, on démontera toutes les bassines ». Les actions sur les chantiers, telles qu’organisées à Priaires et Mauzé-sur-le-Mignon le 9 septembre, risquent donc de se multiplier.
« Ce qui les dérange, c’est qu’il y ait des manifestations qui redonnent de l’espoir par des gestes impactants, des gestes qui pallient les défaillances des préfectures, elles qui autorisent des projets qui vont contre les intérêts de la population », a expliqué Nicolas Garrigues (Soulèvements de la Terre). Pour lui, ces manifestations s’organisent dans la joie, et constituent une véritable « œuvre collective, très belle et digne ». « Ça ne va pas s’arrêter demain. »

Par leur seule présence, les 3.000 à 4.000 personnes réunies à Niort ont exprimé leur soutien aux prévenus et aux modes d’action choisis collectivement depuis maintenant six ans que la lutte a débuté dans le marais poitevin. Joyeusement et en chantant, iels ont accompagné leurs camarades inculpés jusqu’à la zone bouclée aux abords du tribunal (la préfecture des deux-Sèvres avait en effet pris un arrêté d’interdiction de manifester et de se rassembler dans le quartier). Iels sont resté.es sous une chaleur ardente écouter les prises de paroles des personnalités politiques, syndicales, associatives. Iels ont suivi les retransmissions théâtralisées d’une troupe de comédien.nes qui jouaient sur scène les débats en cours dans le tribunal. A 22 heures, alors que la suspension du procès venait d’être annoncée (il se poursuivra le 28 novembre), iels se sont apprêté.es à rejoindre les prévenus pour les accueillir avec des flambeaux et ont été gazé..s par un groupe de policiers imbéciles.


Mais iels sont resté.es. Iels ont dansé et profité des concerts au Pré Leroy. Et le lendemain, une partie d’entre elleux reprenaient la route de la lutte pour empêcher le nouveau chantier de Priaires d’aboutir, fidèles au slogan « Pas une bassine de plus ».
« J’ai des frissons, parce que c’est une très belle aventure humaine de côtoyer tous ces militants et militantes qui se battent depuis des mois, des années, avait confié la veille Hervé Auguin (Solidaires). Les intimidations ne servent à rien. On est plein, on va y arriver et on va gagner. »

Texte : Fanny Lancelin
Photos : Bassines Non Merci / Les Soulèvements de la Terre

Notes

Plus

Les méga-bassines, qu’est-ce que c’est ?
 

Les bassines sont des ouvrages de stockage d’eau pour l’irrigation. Ce sont des cratères de plusieurs dizaines d’hectares en moyenne, recouverts de bâches plastiques noires, retenues par des digues de 10 mètres de hauteur en moyenne.
Elles ne sont pas remplies avec l’eau de pluie ni de l’eau de ruissellement : les bassines sont alimentées par des pompes qui vont chercher l’eau de bonne qualité dans les nappes phréatiques.
Elles bénéficient à une minorité d’exploitations (environ 5 %) et sont financées en partie par de l’argent public via des financements de l’Agence de l’Eau.
Les bassines servent essentiellement à irriguer du maïs dont une bonne partie sera exportée. Les militant.es dénoncent le fait que cette plante, qui a besoin d’eau à un moment où il y en a peu (d’autant plus sur des sols superficiels), n’est pas adaptée à nos conditions pédoclimatiques et est principalement utilisée pour nourrir les animaux d’élevage industriel.
Les premières ont été construites en Vendée mais les projets qui ont déclenché une forte opposition de la part des habitant.es se situent dans le Poitou. D’autres sont annoncées dans le Berry, le Puy-de-Dôme, en Haute-Garonne...
Plus d’infos sur https://bassinesnonmerci.fr/index.php/les-bassines-cest-quoi/