« Ils ont ravivé au fond de moi une flamme que je croyais éteinte : un autre monde est possible. » C'est ainsi que la réalisatrice Baya Bellanger décrit le sentiment qui est né en elle, au cours du tournage de son documentaire. Ils ? Ce sont les Gilets jaunes de Commercy. Toujours là.
« Nous ne sommes rien, soyons tout » est visible, gratuitement et en replay, sur le site de France 3 Grand Est (1). C'est en effet dans cette région – et plus précisément dans la Meuse – que se trouve la petite commune de Commercy, devenue célèbre dans les milieux militants pour avoir accueilli la première Assemblée des assemblées (2) : un grand rassemblement de Gilets jaunes (des représentants des groupes de toute la France), pour réfléchir aux moyens de prolonger le mouvement.
Le documentaire débute à l'automne 2018, lorsque se forme le mouvement, et prend fin en mars 2020, aux élections municipales.
On y suit un groupe d'une quarantaine d'hommes et de femmes qui se retrouvent chaque jour à leur cabane construite non pas sur un rond-point mais sur une des places du centre-ville. Selon l'heure de la journée, autour d'un café ou d'un verre, d'un sandwich ou du barbecue, il.les dénoncent leurs conditions de vie, débattent des moyens pour y faire face et les changer, rêvent à une autre société. Il.les sont agent d'entretien, fonctionnaire territorial, éducateur spécialisé, ouvrière en aéronautique, commerçante à la retraite…
Le documentaire est généreux, la réalisatrice étant visiblement acquise à la cause des Gilets jaunes. Pour autant, elle ne tente pas d'effacer les désaccords entre les membres du groupe et présente bien les différentes stratégies qui en découlent : continuer à se battre contre l'État dans un rapport frontal en faisant monter en puissance les manifestations et blocages ; intégrer les institutions pour les modifier en profondeur.
Ainsi, lors de la deuxième Assemblée des assemblées à Saint-Nazaire, certains Gilets jaunes de Commercy défendent activement le « municipalisme » : basé sur la dynamique des communes, ce système politique suppose un gouvernement via des institutions locales animées par des assemblées populaires.
Les Gilets jaunes de Commercy testent ce principe lors d'un Référendum d'Initiative Citoyenne (RIC) qu'il.les organisent eux.les-mêmes : leur cabane étant menacée de destruction par le maire, il.les demandent à la population de s'exprimer sur son maintien et de réclamer, si elle le souhaite, davantage de poids dans les prises de décision locales. Le RIC est un succès mais la cabane est tout de même détruite, preuve pour le groupe de Gilets jaunes que les élu.es n'écoutent pas le peuple…
La solution : se présenter aux élections municipales ! Les Commercien.nes les suivront-il.les ?
Autre intérêt de ce film : il souligne la difficulté, pour un mouvement sans chef, de ne pas reproduire les comportements de domination qu'il dénonce. Un membre du groupe le reconnaît : parmi eux.les, certain.es prennent davantage d'initiatives, sont à l'aise pour parler devant le groupe ou les médias, sont plus écouté.es... « Ce sont des mécanismes auxquels il faut réfléchir pour les empêcher », insiste Claude, l'un des Gilets jaunes. En regardant le documentaire de Baya Bellanger, on comprend l'un des enjeux de cette lutte pour qu'elle puisse (sur)vivre : comment l'ancien monde se reproduit à bas bruit à travers ce mouvement au point de pouvoir l'annihiler...
Photo : © 13 Productions / FTV
(1) https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meuse/commercy/replay-nous-ne-sommes-rien-soyons-trois-raisons-suivre-gilets-jaunes-commercy-1887464.html
(2) http://assembleedesassemblees.org/