« Il y a des livres qui nous parlent, parce qu'ils parlent un peu de nous. « Les grands espaces » est de ceux-là. » Alice, lectrice de (Re)bonds, habitante du Cher, partage une nouvelle fois avec nous un coup de cœur à lire...
« Il y a des livres qui nous parlent, parce qu'ils parlent un peu de nous. « Les grands espaces » est de ceux-là...
J'y ai retrouvé l'amour de la campagne et des jardins, les découvertes inépuisables des enfants laissés en friche, l'archéologie, la littérature, les musées et l'histoire de l'art, une maison en travaux, des meules de foin, des bals folks, des néo-ruraux un peu fous... Un peu de mon enfance, de mon adolescence et de mes années de maturité qui m'habitent encore aujourd'hui.
Mais il y a aussi des livres qu'on aime ouvrir, découvrir et rouvrir, parce qu'ils nous ouvrent à d'autres paysages, d'autres familles, d'autres cultures, d'autres histoires. Et « Les grands espaces » est aussi de ceux-ci !
Avec un trait et une écriture tenant à la fois du romantisme et de la caricature, Catherine Meurisse nous livre ici le récit de sa jeunesse lorsque sa famille déménage à la campagne dans les années 80, quelque part dans le Poitou. On y croise ses parents et sa sœur, férus de littérature et de boutures, ses nouveaux voisins paysans – agriculteurs, éleveurs – des animaux qui donnent la vie et d'autres à qui on donne la mort, mais aussi Pierre Loti, Marcel Proust, Emile Zola, Louis XIV, Rabelais, Ségolène Royal, des musiciens roumains, Corot, Fragonard... On y découvre le développement des fléaux modernes de l'agriculture – remembrement, engrais et pesticides – des politiques territoriales hasardeuses ou désastreuses, et du tourisme provincial – entre festival du cabicou et autres omelettes géantes gratuites !
On y retrouve surtout la beauté et la motivation des amoureux de la terre, déracinés mais bien décidés à restaurer, défricher et planter, inlassablement, pour créer un lieu de vie harmonieux et fertile.
L'auteure, qui est dessinatrice de presse, illustratrice, et a travaillé notamment pour Charlie Hebdo une dizaine d'années comme rédactrice, aborde ces sujets avec humour et sensibilité, entre rêverie et réflexion.
J'y ai appris entre autres, que Zola était nul en botanique, que l'on peut faire le voyage depuis Bucarest dans un bus raccommodé avec du scotch, que « tant qu'on chie, on vit », qu'une bouture peut être un héritage littéraire et familial, et que la liberté est parfois plus belle lorsqu'un groupe de danse folk revisite la tradition, qu'écrite en lettres de feu dans le ciel du Puy du Fou.
Le trait est aussi intimiste et chaleureux que le propos, et l'humour s'en dégage tout autant. Elle nous montre notamment un Versailles revisité où les perspectives célèbres du palais, lui rappelant les gigantesques bottes de foin de sa campagne, sont habillées de banderoles noires disant « non au remembrement » ; ou encore un pastiche des « Bergers d'Arcadie », tableau de Nicolas Poussin à partir de son jardin d'enfance. De très belles planches illustrent l'amour de cette famille pour la verdure, les arbres, les fleurs, avec un souci de la représentation qui, si elle n'est pas naturaliste, montre une attention portée aux détails des feuilles, des couleurs, de l'allure et de l'aspect des végétaux, faisant appel à nos sens comme à nos propres souvenirs. »
« Les grands espaces » de Catherine Meurisse (couleurs, Isabelle Merlet) est publié chez Dargaud : https://www.dargaud.com/bd/les-grands-espaces