Menu
Photo de couverture

Conférence gesticulée d’Amélie Chanmé : « Le théâtre public est un entre-soi capitaliste »

15 septembre - 15 octobre 2024
Télécharger en PDF ↗
Le café militant associatif l’Antidote à Bourges accueillera Amélie Chanmé le jeudi 26 septembre à 19 h 30 pour une conférence gesticulée intitulée « Oui mais moi madame, ma fenêtre, elle donne de l’autre côté ». Inspirée par son vécu, elle y dénonce comment le théâtre public entretient les rapports de domination inhérents au système capitaliste, dans les spectacles et en coulisses. Pourquoi a-t-elle choisi ce thème ? Comment ré-introduire une touche politique et critique sur scène ?

« Si vous voulez vraiment faire ça, travaillez. Travaillez toujours plus et déformez le théâtre. » Ce conseil d’Ariane Mnouchkine (1) n’a jamais quitté Amélie Chanmé (de son vrai nom Amélie Chalmey). Elle a 15 ans lorsqu’un soir, avec sa classe option théâtre, elle découvre « Les éphémères » au théâtre du Soleil, à la Cartoucherie à Vincennes. Un spectacle qui la bouleverse au plus haut point. En larmes, ses camarades et elle parviennent toutefois à échanger quelques mots avec l’autrice à la fin : « Déformez le théâtre. » Vingt ans plus tard, elle commence tout juste à comprendre ce que cela signifie et l’expérimente concrètement à travers une conférence gesticulée intitulée « Oui mais moi madame, ma fenêtre, elle donne de l’autre côté ». Elle l’interprétera à l’Antidote à Bourges le jeudi 26 septembre.

Des méthodes de l’éducation populaire

Mais qu’est-ce qu’une conférence gesticulée ? « C’est un objet où une personne vient sur scène pour témoigner de ses expériences personnelles ou professionnellesles savoirs chauds – et les mêlent à des recherches – les savoirs froids », explique Amélie Chanmé. Pour créer la sienne, elle a suivi une formation auprès de l’association l’Ardeur : quatre semaines réparties sur quatre mois, au sein d’un groupe de neuf « apprenti.es ». « Chacun.e arrive avec son sujet et construit sa conférence gesticulée grâce à des méthodes de l’éducation populaire, précise-t-elle. C’est à la fois individuel et collectif, car le groupe permet d’échanger sur son travail. »
Les formateur.ices encouragent les gesticulant.es à ne pas écrire leurs conférences et à conserver plutôt une forme orale vivante. « On a bien une intro, un plan, des transitions dans la tête. Mais l’important, c’est d’incarner un savoir. Du coup, je ne dis jamais exactement la même chose ; cela dépend beaucoup de mon humeur, de l’énergie du moment et du public aussi. Et, pour conserver en mémoire cette conférence gesticulée, il faut la jouer souvent ! » Une trentaine de fois depuis sa sortie en février 2023.

Mais, sans texte écrit, comment envisager la transmettre ? « Elle n’a pas à être jouée par quelqu’un d’autre, je ne peux pas la donner : c’est mon histoire, ça m’appartient, même si le propos peut toucher tout le monde. »

Qui sert le théâtre public ?

Cette histoire, c’est celle de sa relation au théâtre public pour lequel elle a travaillé comme metteuse en scène durant des années. « J’en ai tiré une analyse politique… qui pique ! » C’est une autre caractéristique des conférences gesticulées issues de l’éducation populaire : dénoncer les points de domination inhérents à notre société capitaliste.
Dans « Oui mais moi madame, ma fenêtre, elle donne de l’autre côté », Amélie Chanmé entend dénoncer l’hypocrisie qui traverse le théâtre public, qui se proclame de gauche et résolument démocratique : subventionné par l’Etat dans le but affiché d’être accessible à tous.tes, il n’est en fait fréquenté que par 2 % de la population française. « Je les connais par cœur, les publics de ces salles. Il y a trois catégories : la première, c’est celle des cheveux blancs, les vieux bourgeois ; la deuxième, qui fait très peur aux vieux bourgeois, c’est celle des scolaires qui n’ont pas eu le choix de venir parce qu’on les a traîné.es là. Et la dernière, forcément liée à la deuxième, ce sont les enseignant.es. Ah, il peut y en avoir une autre : celle des intermittent.es qui sont là pour trouver du travail. »

La question que pose Amélie Chanmé n’est pas tant « à quoi sert le théâtre ? » mais plutôt « qui sert-il ? ». Les classes dominantes qui financent des spectacles jamais suffisamment critiques ou révolutionnaires pour renverser la table du système capitaliste. En coulisses, le théâtre public est gangréné par des logiques de mise en concurrence et de hiérarchisation (entre les compagnies nationales et les autres, par exemple). « Elles touchent des subventions sur la forme davantage que sur le fond : aujourd’hui, il faut faire rêver, que le public soit sidéré, admiratif ! Bon, d’accord, de temps en temps, on va parler du patriarcat ou du racisme, mais on ne va jamais réellement au fond des sujets. »

Récupérer une forme de pouvoir

Dans sa conférence gesticulée, Amélie Chanmé souligne le vocabulaire utilisé couramment dans les discussions au théâtre : « Je te co-produis, je t’achète… Ce n’est pas une blague ou une métaphore, on me l’a dit plusieurs fois ainsi. Je suis un produit et le théâtre, c’est un entre-soi capitaliste. »

Existe-t-il un théâtre alternatif et si oui, où peut-on le trouver ? « Ben… dans ma compagnie ! (rires) » Après avoir vécu un épuisement professionnel, Amélie Chanmé a trouvé dans les conférences gesticulées un véritable moyen d’injecter de la politique dans le théâtre. « Ça m’a permis de récupérer une forme de pouvoir sur ce qui m’était arrivé, explique-t-elle. On se détache de son nombril, on arrête le petit vélo qui tourne sans cesse dans la tête, et on prend conscience que c’est le système qui est merdique et qui broie les gens. » Pas question d’arrêter le théâtre, pas question de l’abandonner à l’Etat ! « Je vais travailler à créer des festivals où peuvent se côtoyer les conférences gesticulées, la musique, les ateliers d’éducation populaire… Il faut aussi remettre de la fête au centre du théâtre. Car ça veut aussi dire ça, jouer ! »
C’est ainsi que cet été, à Rouen où sa compagnie est basée, est né le festival « Les Abrasives » (2).

De son côté, que peut faire le public ? « C’est une bonne question… déserter les salles, vraiment. Quand elles seront vides, iels seront bien obligé.es de faire différemment ! » Amélie Chanmé veut aussi inciter les gens à monter sur scène, selon les principes de l’éducation populaire : « Chacun.e a une expérience et peut en tirer un savoir à partager. Chacun.e porte en soi sa conférence gesticulée. »

Texte : Fanny Lancelin
Photo : Amélie Chalmey

Plus

Pour connaître les dates des conférences gesticulées un peu partout en France, d’Amélie Chanmé et de bien d’autres gesticulant.es, rendez-vous sur https://conferences-gesticulees.net